Kheper, le devenir solaire
- Sophie

- 28 juil.
- 4 min de lecture
Voilà Kheper, le scarabée, ce petit insecte discret est porteur d’un des plus puissants symboles que l’Égypte ancienne nous ait transmis. Dans la lumière tremblante de l’aube, il roule sa boule de matière, imperturbable. Les Anciens y ont vu un véritable geste cosmique, une parabole du monde en perpétuelle naissance.
Ainsi est né Kheper, ou Khepri, le dieu à tête de scarabée, incarnation du soleil levant, du renouveau, du devenir. Divinité solaire, il est le principe du mouvement de l’Être, l’élan qui pousse la lumière hors de la nuit, la force mystérieuse qui transforme, régénère, et engendre.
Naître de soi-même, telle est la démarche...
Khépri vient de kheperer, "le scarabée", et du verbe kheper qui signifie littéralement "venir de l'existence".
Dans les textes sacrés, il est dit qu’il s’est engendré lui-même. Il n’a ni père ni mère. Il ne vient de personne, il s’éveille depuis le non-être, depuis cette zone trouble, indistincte, où tout dort encore dans le possible.
Au delà du mythe, cela évoque quelque chose de fondamental sur notre propre humanité : nous portons tous en nous la capacité de nous engendrer nous-mêmes, de nous recréer à chaque instant, à condition d’en prendre la mesure et la responsabilité.
Kheper est une voie, une invitation.
Pourquoi le scarabée ? Parce qu’il enfouit sa boule dans la terre pour y déposer la vie. Parce qu’il agit dans le secret. Parce qu’il fait surgir la naissance à partir d’une matière sombre et informe. Ce petit être devient, pour les égyptiens, le symbole vivant du processus de transmutation, l’image parfaite de celui qui fait de la matière une lumière.
Kheper ne parle pas d’un monde figé, mais d’un monde en perpétuel mouvement. Il ne dit pas "je suis", il dit "je deviens". En cela, il rejoint le pressentiment de nombreux penseurs à travers les âges : l’être véritable n’est pas une substance, mais un élan, une métamorphose.
Kheper ou la philosophie du devenir
Le philosophe grec Héraclite affirmait : « Panta rhei : Tout s’écoule. » Rien ne demeure, tout change et c’est justement ce mouvement qui est la clef de la vie. Kheper incarne cette sagesse antique : le réel n’est pas un état à atteindre, mais un chemin à tracer.
Dans la pensée néoplatonicienne, notamment chez Plotin (IIIe siècle), l’Être procède d’un principe premier, l’Un, dont il émane comme une lumière du soleil. Cette émanation n’est pas une rupture, mais déploiement de perfection.
Kheper n’est pas l’Un transcendant, mais il est le premier mouvement d’émanation, l’instant où le possible devient forme, où la lumière quitte l’ombre. Il est le dynamisme même de l’éveil, le point d’émergence du réel.
Pour Plotin, l’âme humaine peut remonter vers l’Un par un travail intérieur, par la purification, la contemplation, et l'ascèse. Kheper, en poussant sa sphère vers la lumière, figure cette remontée vers l’origine, cette quête de réintégration.
Dans les traditions orientales, notamment le bouddhisme, le monde est caractérisé par l’anitya, l’impermanence. Rien n’est stable, ni notre corps, ni nos pensées, ni nos émotions. Le soi n’est pas une entité fixe, mais un flux de conditions interdépendantes.
Kheper ne crée pas un monde figé, comme dans le samsara, la roue des existences, il pousse la vie en avant, sans commencement ni fin véritables, sans stabilité illusoire.
Dans cette perspective, le salut ne réside pas dans l’identification à une essence, mais dans l’acceptation lucide du mouvement, et dans l’éveil au réel tel qu’il est.
Enfin, Kheper incarne ce que Bergson appelle « l’élan vital » : la conscience à l'oeuvre, où la vérité de l’être se joue dans le mouvement, non dans la fixité.
Il y a là un fil rouge qui traverse les siècles : la sagesse consiste à se transformer, à renaître sans cesse, à redevenir, encore et encore, lumière dans l’obscurité.
C’est ici que la démarche maçonnique croise le symbolisme du scarabée sacré.
L’initiation n’est pas une illumination subite, c'est un travail intérieur, un roulage lent et opiniâtre de notre propre matière vers quelque chose de plus haut.
Comme le scarabée, l’initié travaille sous terre, dans l’obscurité de ses contradictions, de ses doutes, de ses ignorances. Et pourtant, c’est de là que peut surgir la lumière.
Kheper parle de cette renaissance lente, de cette transformation invisible qui, peu à peu, change tout. Il est le symbole discret de l'initiation, celui qui ne se proclame pas, mais qui se vit.
La boule que pousse Kheper, est le cercle parfait, celui qui définit l’unité et l’infini. Pousser ce cercle, c’est faire avancer la conscience, déplacer le centre de soi-même vers la lumière.
Et si, le compas et l’équerre n’étaient que les pates de Kheper ? Si nous étions appelés, non pas seulement à comprendre les symboles, mais à les incarner, à devenir scarabée, à faire de chaque jour une œuvre d’auto-engendrement ?
Kheper n’est pas un dieu figé dans les pierres du passé. Il vit dans chaque recommencement, dans chaque matin où nous décidons de faire mieux, dans chaque chute d’où nous nous relèvons, dans chaque instant où nous cessons d’être ce que nous étions, pour tenter de devenir enfin ce que nous sommes.
Kepher rappelle que l’Œuvre est intérieure, que le Temple se bâtit dans la poussière, et que la lumière ne se reçoit pas, elle se conquiert.
En poussant sa sphère de matière vers la lumière, le scarabée sacré enseigne que nous ne sommes jamais ce que nous croyons être, mais toujours en gestation.
Alors... je roule ma boule, et patiemment, je deviens...
"Je feins l'adulte, mais secrêtement, je guette toujours le Scarabée d'Or, et j'attends qu'un oiseau se pose sur mon épaule, pour me parler d'une voix humaine et me révéler enfin le pourquoi du comment."
Romain GARY - La Promesse de l'Aube





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