Bastet, ou la sagesse apprivoisée de la lumière
- Sophie

- 20 juil.
- 4 min de lecture
Dans l’imaginaire foisonnant de l’Égypte ancienne, la figure de Bastet se déploie avec une singularité troublante. Tour à tour féroce et bienveillante, guerrière et maternelle, elle incarne un archétype complexe, à la croisée de la puissance solaire et de la tendresse domestique. À travers elle, se dessine une pensée profonde du féminin, du pouvoir, et de l’équilibre intérieur. Elle est une métaphore vivante de la sagesse en acte : une sagesse qui ne nie ni la force ni l’instinct, mais les convertit en lumière maîtrisée.
Bastet est d’abord la fille du dieu solaire Rê. Son origine mythologique la lie à la lionne déchaînée, Sekhmet, envoyée par le dieu pour punir l’humanité, et qui, ivre de sang, menace de tout anéantir. C’est en versant une bière rouge comme le sang que Rê parvient à la calmer. La fureur devient torpeur, la lionne devient chatte, et Bastet naît de cette transmutation. Cette légende, à elle seule, raconte le passage essentiel de toute quête initiatique : celle de la transformation des passions en vertus, de la violence en paix, du feu destructeur en feu sacré.
Bastet n’annule pas Sekhmet, elle en est la métamorphose. Et c’est là toute sa grandeur.
Bastet est la force qui a choisi de ne pas écraser. Elle est la paix née du combat intérieur. Il ne s’agit pas d’un renoncement, mais d’un accomplissement.
Philosophiquement, elle réalise ce que la pensée hégélienne nommerait une synthèse dialectique : elle tient ensemble les contraires, et de cette tension naît une figure nouvelle, pacifiée, rayonnante.
Féminine et solaire, Bastet bouleverse les archétypes anciens. Là où la tradition associe le féminin à la lune, au changement, à la réceptivité, elle incarne au contraire un féminin stable, lumineux, actif. Elle n’est pas satellite, mais source. Elle rayonne par elle-même. Elle n’obéit pas, elle veille. Elle ne reflète pas la lumière d’un autre, elle l’habite et la dispense. Ainsi, elle offre une image révolutionnaire du pouvoir féminin : ni soumis, ni dominateur, mais serein, autonome, pleinement incarné.
Créature du seuil, silencieuse et insaisissable, le chat voit dans l’obscurité. Il habite les marges, entre la maison et le sauvage, entre la présence et l’indifférence. Il est l’image parfaite de la conscience éveillée : discrète, lucide, jamais soumise.
Le chat ne se dresse pas contre l’autorité, il l’ignore. Il ne fuit pas, il choisit.
Il n'obéit qu'à la loi de son centre.
Bastet, à travers cette animalité raffinée, enseigne que le silence peut être plus éloquent que la parole, et l’attente plus active que l’agitation.
Elle est la maîtresse du non-agir efficace. Elle ne conquiert pas : elle attire. Elle ne contraint pas : elle inspire.
Pourtant, Bastet n’est pas une ascète. À Bubastis, sa ville sacrée, on la célébrait dans la joie, la danse, le vin, la musique. Fête populaire, vivante, incarnée. Rien de répressif, rien de grave.
La spiritualité de Bastet ne se vit pas dans l’austérité, mais dans l’allégresse. La joie, pour elle, n’est pas frivole : elle est voie d’accès au sacré. En ce sens, Bastet rappelle que la sagesse n’est pas nécessairement renoncement, mais intensité maîtrisée.
Rire, chanter, célébrer! non pour se perdre, mais pour s’éveiller.
C’est à ce point qu’apparaît toute la résonance maçonnique de Bastet. Car dans les degrés de la voie initiatique, notamment ceux du Rite de Memphis-Misraïm où l’Égypte n’est pas seulement un décor mais un langage sacré, Bastet peut être perçue comme une figure de la Maîtrise intérieure. Elle est celle qui a accompli l’œuvre sur elle-même. Là où l’apprenti lutte encore contre la pierre brute de ses pulsions, là où le compagnon affine son regard mais cherche encore l’harmonie, Bastet incarne la paix intérieure du maître, celui qui a transformé sa colère en lumière, son feu en conscience.
Elle est aussi gardienne du Temple, à la manière du chat qui veille au seuil de la maison. Elle ne filtre pas par jugement, mais par résonance : seul entre celui qui est en paix avec lui-même.
Bastet ne protège pas par la force mais par la présence. Elle inspire le respect, non par le commandement, mais par la densité silencieuse de son être. Elle est la présence invisible qui pacifie les tensions, le regard qui perçoit ce qui n’est pas dit, la lumière qui éclaire sans brûler.
Le chat, compagnon sacré, incarne la discrétion, la vigilance, le recul, mais aussi l’élégance du geste juste, celui qui ne gaspille ni énergie ni parole. À bien des égards, Bastet nous rappelle que le véritable travail maçonnique n’est pas une accumulation de signes extérieurs, mais une lente conquête de soi, une épuration silencieuse du cœur, une alchimie intime et permanente.
Bastet, enfin, réconcilie la spiritualité et la vie. Elle enseigne que l’initiation n’est pas un renoncement au monde, mais une manière nouvelle de l’habiter. Qu’il est possible d’être sage sans être triste, profond sans être pesant, éveillé sans être rigide. Elle nous offre un modèle de présence incarnée, libre et joyeuse. Une souveraineté douce, une lumière paisible, une féminité affranchie.
On pourrait croire que Bastet appartient au passé. Mais elle est, en réalité, d’une actualité brûlante. Elle parle à nos sociétés fatiguées de violence, déchirées entre polarités irréconciliables. Elle invite à une autre posture : celle de l’intégration dans l'unité. Ne plus choisir entre puissance et tendresse, entre action et contemplation, entre rigueur et joie; mais tout unir, dans la justesse.
Ainsi Bastet est une clé. Une sagesse. Une voie. Elle est l’appel à transformer la fureur en paix, l’instinct en intuition, la force en lumière. Elle est, peut-être, une autre manière d’habiter le monde : les griffes rentrées, les yeux ouverts, le cœur tranquille.





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