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"Gloire au Travail" : De la Nécessité Matérielle à l'Élévation Spirituelle

  • Photo du rédacteur: Sophie
    Sophie
  • il y a 6 jours
  • 9 min de lecture

Le travail nous accompagne depuis nos premiers pas sur Terre. Il est ce compagnon de route exigeant qui, selon les jours, nous semble tantôt un fardeau écrasant, tantôt un extraordinaire vecteur d'accomplissement. À travers les âges et les cultures, nous n'avons cessé de redéfinir notre relation avec lui, le maudissant parfois, le glorifiant souvent.

Le travail est-il une simple activité productive, ou peut-il être un miroir de notre condition ?Quand nous transformons la matière, c'est aussi nous-mêmes que nous transformons...


Le travail dans la pensée antique :


La dichotomie grecque : servitude et liberté

Imaginez-vous un instant dans l'Athènes antique. Si vous êtes un citoyen libre, vous regardez probablement avec un certain dédain ces mains calleuses qui trahissent le travail manuel. Et pour cause ! Dans cette société, avoir les mains propres signifiait littéralement appartenir à l'élite.

Les Grecs de l'antiquité, ces brillants penseurs qui ont jeté les bases de notre philosophie occidentale, entretenaient avec le travail une relation pour le moins complexe. Quand Aristote, dans sa Politique, affirme que les citoyens d'une cité idéale ne devraient être "ni artisans, ni commerçants, ni même laboureurs", il ne fait pas preuve d'une paresse aristocratique mais exprime une vision du monde où la liberté se définit par l'affranchissement des nécessités matérielles.

Pour ces Athéniens, s'échiner sur la matière (ce qu'ils appelaient ponos) représentait une forme d'emprisonnement. Pourquoi ? Parce qu'ils percevaient notre corps comme une prison temporaire pour l'âme. Travailler de ses mains revenait donc à s'enchaîner doublement : au corps et à la matière. Ne nous méprenons pas : cette vision n'était pas universelle, mais elle a profondément marqué notre rapport occidental au travail.

Tous les Grecs ne partageaient pas cette vision élitiste. Hésiode, ce poète-paysan du VIIIe siècle avant notre ère, chantait les louanges du labeur quotidien. Dans son poème "Les Travaux et les Jours", il nous dit avec une simplicité désarmante que "par le travail, tu deviendras bien plus cher aux immortels et aux mortels : car ils détestent fortement l'oisiveté."

Voilà les prémices de nos sociétés contemporaires qui se dessinent : d'un côté, l'intellectuel urbain qui voit dans le travail de la matière, une dégradation ; de l'autre, l'homme de la terre qui y trouve une forme d'élévation.


Rome : pragmatisme et service public

Traversons la Méditerranée et avançons de quelques siècles pour nous retrouver dans la Rome antique. Ici, l'approche change subtilement. Les Romains, ces bâtisseurs pragmatiques, ne peuvent se permettre le luxe du mépris total pour le travail productif. Leur empire s'étend, leurs routes se construisent, leurs aqueducs acheminent l'eau sur des kilomètres... Tout cela nécessite des mains qui travaillent.

Pourtant, les préjugés demeurent. Quand Cicéron, dans son "De Officiis", nous dit que "sont vulgaires les métiers de tous les salariés, dont on paie le travail et non l'art [...] Mais l'agriculture, entre toutes, est libérale", il exprime cette hiérarchie subtile des occupations.

Étrange société que celle où labourer son propre champ vous honore, mais où travailler celui d'un autre pour un salaire vous dégrade. Cette distinction entre "travailler pour soi" et "travailler pour autrui" est toujours vivante dans notre fascination moderne pour l'entrepreneuriat et l'indépendance professionnelle.


Les écoles philosophiques : le travail comme cheminement intérieur

Diogène, ce philosophe excentrique qui vivait dans un tonneau et se promenait avec une lanterne en plein jour "à la recherche d'un homme", voyait la pénibilité du travail non pas comme une malédiction mais comme un chemin vers la liberté. Comment ? En libérant l'homme de ses désirs superflus.

Les stoïciens ont poussé cette idée encore plus loin. J'aime particulièrement cette réflexion d'Épictète, cet ancien esclave devenu philosophe : "Ce n'est pas la profession qui ennoblit l'homme, mais l'homme qui ennoblit la profession." En résumé : ce n'est pas ce que vous faites qui compte, mais comment vous le faites.

Cette idée résonne fortement avec nos questionnements contemporains sur le sens du travail. Dans notre société où l'on se présente souvent par son métier :"Je suis médecin", "Je suis chauffeur", "Je suis enseignante", n'avons-nous pas inversé l'équation ? Ne serait-ce pas à nous de donner du sens à notre travail plutôt que d'attendre que notre travail nous donne une identité ? Après tout, ce que nous faisons est-il l'exacte illustration de ce que nous sommes ? Serions-nous réduit à notre seule fonction ? La question est ouverte...


Les dimensions symbolique, ésotérique et hermétique du travail :


Le travail comme principe de transformation

Self-Made Man. Statut en Bronze de Bobbie Carlyle
Self-Made Man - Statue de Bobbie Carlyle

Avez-vous déjà observé vos mains après une journée de jardinage ? Ces mains légèrement salies qui ont taillé, planté, arrosé... mais qui, surtout, ont participé à une transformation. En quelques heures, un espace désordonné est devenu un jardin harmonieux. Et si cette transformation extérieure s'accompagnait toujours d'une transformation intérieur. "Il faut cultiver notre jardin" nous dit Voltaire par la voix de Candide.

C'est là que réside, je crois, la plus belle dimension symbolique du travail : cette double métamorphose. Nous façonnons la matière, et elle nous façonne en retour. Le philosophe Hegel l'avait bien compris quand il écrivait que par le travail, l'homme "se forme lui-même en formant les choses."


La dimension initiatique

Les artisans parlent souvent du moment où, après des heures d'apprentissage et d'échecs, leur main semble soudain "comprendre" le geste juste. Ils évoquent ça comme une révélation, presque une initiation.

Et ils n'ont pas tort. Dans de nombreuses traditions, le travail possède une forte dimension initiatique, c'est-à-dire qu'il transforme non seulement la matière, mais aussi celui qui l'exécute, la main en . En franc-maçonnerie, par exemple, l'initié est explicitement invité à "travailler" symboliquement la "pierre brute" (son être imparfait) pour la transformer en "pierre cubique" (symbole de l'être accompli). Chaque coup de maillet représente un effort conscient vers le perfectionnement, la main se présentant comme la manifestation de l'esprit qui s'éveille.

Le compagnonnage, cette extraordinaire tradition de formation artisanale, incarne parfaitement cette approche. Lors de leur "tour de France", les jeunes compagnons voyageaient de ville en ville pour apprendre leur métier auprès de différents maîtres. Pour eux, comme l'explique si bien Jean Bernard, compagnon lui-même : "Le compagnon ne travaille pas seulement la matière, mais travaille sur lui-même à travers elle. Chaque geste technique est aussi un geste symbolique qui élève l'âme en même temps qu'il façonne la matière."

Cette vision du métier comme voie spirituelle n'est pas propre à l'Occident. Si l'on observe un maître japonais pratiquer la cérémonie du thé, la calligraphie ou l'art floral ? Chaque geste, précis et conscient, devient une forme de méditation active (zazen) où l'être tout entier est engagé.


Ordre et chaos : le travail démiurgique

Il y a quelque chose de profondément mystérieux dans notre besoin de créer de l'ordre, d'organiser les choses. Nous l'avons tous éprouvée : cette satisfaction presque inexplicable après avoir rangé une pièce en désordre, organisé des dossiers éparpillés, ou même aligné parfaitement des objets sur une étagère.

J'aime à penser que, dans ces moments-là, nous rejouons à "minuscule" échelle le grand drame cosmique : la victoire de l'ordre sur le chaos. Dans presque toutes les mythologies, la création du monde est décrite comme un travail divin qui transforme le chaos primordial en cosmos ordonné.

Pour Platon, par exemple. Dans son dialogue du Timée, il nous raconte comment le démiurge (l'artisan divin) façonne l'univers à partir d'une matière désordonnée, comme un potier donne forme à l'argile.

Lorsque l'on assemble des ingrédients bruts pour cuisiner un plat élaboré, lorsque l'on monte un meuble en kit, lorsqu'enfin on écrit un texte qui donne sens à des idées éparses... ne participe t'on pas, à notre échelle (et toutes proportions gardées ! 😅) à cette même œuvre cosmique ? Comme le soulignait l'historien des religions Mircea Eliade, "par le travail, l'homme répète l'œuvre exemplaire de la création divine."


L'alchimie du travail : le Grand Œuvre

Je suis toujours fascinée par ces anciennes gravures alchimiques : des laboratoires mystérieux où des hommes barbus s'affairent autour d'alambics, de fourneaux et de creusets... Que cherchaient-ils vraiment ? La pierre philosophale qui transforme le plomb en or ? Bien sur. Mais les plus sages d'entre eux poursuivaient un but plus ambitieux : la transformation d'eux-mêmes.

L'alchimie nous offre sans doute la plus belle métaphore du travail transformateur. Leur opus magnum (le Grand Œuvre) n'était pas simplement une recette chimique, mais une véritable philosophie de la transformation. Pour eux, la matière n'était jamais vraiment "morte", elle était vivante, en attente d'élévation. Et le travail de l'alchimiste consistait précisément à accompagner cette élévation, de l'état brut (prima materia) vers des états toujours plus parfaits.

Le fascinant dans leur approche, c'est cette conviction que le travail sur la matière et le travail sur soi sont inséparables. Quand l'alchimiste purifiait ses métaux, il purifiait aussi son âme. Jung l'a magnifiquement exprimé : "Ce que l'alchimiste voyait dans sa cornue n'était pas seulement un processus chimique, mais la projection de son propre processus d'individuation."

Et si chaque tâche, chaque projet que nous entreprenons était aussi une occasion de nous transformer nous-mêmes ? Si le véritable "or" que nous cherchons n'était pas extérieur, mais intérieur ?


Le travail comme participation cosmique

Nous avons tous déjà ressenti, au cœur d'une activité intense et absorbante, que nous faisions partie de quelque chose de plus grand que nous. Ce n'est pas un hasard. (Puisque comme chacun le sait, il n'existe pas ! 😉). Dans de nombreuses traditions ésotériques, le travail humain est perçu comme une participation consciente à une œuvre qui nous dépasse infiniment.

Pour les hermétistes, ces philosophes mystiques qui se réclamaient d'Hermès Trismégiste, l'être humain occupait une position unique dans l'univers. Ni tout à fait terrestre, ni tout à fait céleste, l'homme était ce "petit créateur" qui, par son travail conscient, imitait et prolongeait l'œuvre du Grand Créateur. Leur maxime "Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut" exprimait cette correspondance entre le macrocosme (l'univers) et le microcosme (l'être humain).

Dans la tradition kabbalistique juive, cette idée prend une tournure particulièrement touchante. Le concept de Tikkun Olam, littéralement "la réparation du monde", suggère que notre monde est incomplet, fissuré, et que chaque acte humain conscient contribue à sa restauration. Imaginez : chaque fois que nous créons quelque chose de beau, chaque fois que nous réparons ce qui est brisé, nous participons à cette grande œuvre de guérison cosmique.


Célébration du travail : le 1er mai entre revendication et tradition


Genèse d'une commémoration ouvrière

Avez-vous déjà pensé à la singularité de cette journée du 1er mai ? Ce jour où l'on célèbre le travail... en ne travaillant pas ! Cette apparente contradiction cache une histoire mouvementée, inscrite dans le sang et les luttes sociales.

Transportons-nous dans le Chicago de 1886. La ville bouillonne, des milliers d'ouvriers descendent dans les rues. Leur revendication ? Une journée de travail limitée à huit heures, ce qui nous semble aujourd'hui une évidence, mais représentait alors une révolution. "Huit heures de travail, huit heures de loisir, huit heures de repos" scandent-ils. Mais le 4 mai, à Haymarket Square, la manifestation tourne au drame : une bombe explose, la police tire, des manifestants et des policiers perdent la vie.

Trois ans plus tard, en 1889, des délégués ouvriers du monde entier réunis à Paris décident de faire du 1er mai une journée internationale de solidarité ouvrière, en mémoire de ce qu'on appellera les "martyrs de Chicago". Une date est née, chargée d'émotion et de symbolique.

En France, cette commémoration s'institutionnalise progressivement : jour chômé en 1919, puis jour férié sous Vichy en 1941 (ironie de l'histoire pour une fête d'origine socialiste !), statut définitivement confirmé après-guerre. Le sang des martyrs s'est peu à peu transformé en repos légal.


Le muguet : convergence de traditions

Il y a quelque chose de profondément poétique dans ce petit rituel du muguet que nous pratiquons chaque 1er mai.

L'histoire est fascinante. Bien avant d'être associé aux revendications ouvrières, le muguet était déjà chargé de symbolisme. Pour les Celtes, ces fleurs blanches annonçaient le retour du printemps et portaient chance. Une promesse de renouveau après les mois d'hiver.

Puis vint cette charmante anecdote royale : le 1er mai 1561, le jeune roi Charles IX reçut un brin de muguet. Le cadeau le toucha tellement qu'il décida d'en offrir chaque année aux dames de la cour. Une tradition élégante qui s'installa doucement dans les mœurs françaises.

Et puis, par un de ces hasards dont l'histoire a le secret, cette tradition florale croisa le chemin des luttes ouvrières à la fin du XIXe siècle. Les manifestants commencèrent à porter à leur boutonnière un triangle rouge (symbole de revendication) accompagné d'un brin de muguet (symbole de printemps). Comme si la lutte pour de meilleures conditions de travail s'inscrivait naturellement dans ce cycle du renouveau.


Le travail, un miroir de notre humanité

Au terme de ce voyage à travers les âges et les traditions, que découvrons-nous ? Que le travail n'est pas cette chose simple et univoque que nous croyons connaître. Il est plutôt comme un diamant aux multiples facettes, reflétant différentes lumières selon l'angle sous lequel on l'observe.

Cette activité quotidienne, parfois si banale, touche à des questions aussi fondamentales que notre rapport au temps, à la matière, aux autres et à nous-mêmes. Comme l'écrivait Simone Weil : "Le travail fait du temps la matière même de notre être. [...] Il est notre maître, et le plus redoutable, car il tient les clefs de notre destin spirituel."

Aujourd'hui, à l'heure où nos métiers se transforment radicalement, robots qui prennent nos places, ordinateurs qui pensent plus vite que nous, précarité qui s'installe, ne devrions-nous pas redécouvrir cette dimension profonde du travail ? Au-delà du salaire et du statut social, n'y a-t-il pas dans l'acte même de transformer la matière quelque chose qui nous relie à notre essence la plus intime ?

Le travail nous révèle à nous-mêmes : notre capacité à persévérer face à la résistance, notre besoin de créer, notre désir de laisser une trace. Il est ce pont entre nos rêves et la réalité, entre notre monde intérieur et le monde matériel.

Comprendre le travail, c'est peut-être, en définitive, faire un pas de plus vers la compréhension de ce mystère que nous sommes à nous-mêmes.



"Le travail est l'aliment des âmes nobles " .Sénèque

Gloire au travail
GLFMM - Gloire au Travail



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